Sandra Mehl, À la rencontre des premiers réfugiés climatiques officiels des Etats-Unis

Lors de la 35e édition du festival du photojournalisme de Perpignan, une série d’expositions ont porté leur focus sur le réchauffement climatique. Lorsque la discussion se tourne vers le réchauffement climatique, l’accent est souvent mis sur des régions éloignées et vulnérables. Cependant, Sandra Mehl a révélé un récit plus proche de chez nous : celui des premiers réfugiés climatiques officiels des États-Unis, basé sur une immersion de sept ans auprès des habitants de l’Isle de Jean-Charles, en Louisiane.

Oxcilia et Mark Naquin ont toujours vécu à l’Isle de Jean-Charles. L’ouragan Ida, qui a violemment frappé la zone le 29 août 2021, a totalement détruit leur maison. Aujourd’hui, il n’en reste plus que des débris recouverts de hautes herbes.(2017).

L’Isle de Jean-Charles est située dans la paroisse de Terrebonne, en Louisiane. Elle est entourée par une multitude de canaux et baies s’ouvrant sur le Golfe du Mexique. Historiquement, cette terre est le territoire ancestral de la tribu des Biloxi-Chitimacha-Choctaw. Durant des siècles, elle a joué un rôle essentiel dans la culture et la subsistance de ces Amérindiens francophones, loin des agitations urbaines de la Louisiane.

Isaac Dardar dans la maison familiale à l’Isle de Jean-Charles. L’Île est peuplée depuis deux siècles par une communauté d’Amérindiens francophones. (2017)

À 130 km au sud de La Nouvelle-Orléans, l’Isle de Jean-Charles, autrefois un bastion de la culture et de la vie communautaire, s’est littéralement effondrée. Depuis 1955, 98 % de sa superficie a été engloutie. La principale cause de cette contraction est la montée des eaux, un phénomène exacerbé par d’autres facteurs comme l’érosion côtière et la fréquence accrue des ouragans. Les activités humaines, notamment l’industrie pétrolière du Golfe du Mexique, ont aussi influencé ce changement.

Dans le bayou qui entoure l’Isle de Jean-Charles sont installés des réservoirs de stockage de pétrole. L’exploitation pétrolière est l’une des principales causes du naufrage de l’île. (2017)

L’industrie pétrolière a une forte empreinte dans le golfe du Mexique, avec environ 4 000 plateformes éparpillées dans la région. Ces infrastructures, accompagnées de milliers de kilomètres de canaux, ont fragilisé le sol, précipitant la submersion de l’Isle de Jean-Charles. En 2016, un financement de 48 millions de dollars a été alloué pour un programme de relogement, conduisant à la construction d’un lotissement sur un ancien champ de canne à sucre, à 70 km au nord de l’Isle.

Thérèse Billiot dans le jardin de la maison familiale, qui abrite parmi les derniers chênes de l’Isle de Jean-Charles. Ses parents Denecia et Wenceslaus étant morts, elle sera la seule de la famille à être relogée à Gray.(2017)

Ce n’est qu’à partir de la fin de l’année 2022 que les habitants de l’Isle de Jean-Charles ont pu intégrer leurs nouvelles maisons, toutes données gratuitement. Les quelque trente foyers relocalisés représentent la première communauté nationale à être soutenue par un programme fédéral en raison des impacts du changement climatique. Ils portent ainsi le titre de premiers réfugiés climatiques officiellement reconnus aux États-Unis

Denecia et Wenceslaus Billiot ont toujours vécu à l’Isle de Jean-Charles et se sont promis d’y passer la fin de leurs jours. Lui s’est éteint un an après cette photo, elle l’année suivante, avant que l’ouragan Ida en 2021 n’emporte une partie de leur maison. (2017)

 

Une famille de Louisianais pêche dans les eaux poissonneuses qui entourent l’Isle de Jean-Charles. La pêche est souvent revendue, offrant ainsi un complément de revenus aux foyers les plus démunis de cet État pauvre du sud des États-Unis. (2017)

 

Hilton Chaisson est un ancien pêcheur dont les fils travaillent sur les plateformes pétrolières du golfe du Mexique. La maison familiale a été inondée maintes fois lors de précédents ouragans, puis surélevée avec les moyens du bord. Elle ne résistera pas à l’ouragan Ida. (2019)

 

Une forêt de chênes dans le sud de la Louisiane telle qu’il en existait avant qu’elle ne soit réduite à une plate-bande de terre cernée par les eaux.(2016)

 

Un mois après le passage de l’ouragan Ida, l’Isle de Jean-Charles connaît encore de forts épisodes orageux. En raison du changement climatique, la période cyclonique est plus longue et plus intense. (2021)

” De 2016 à 2023, j’ai effectué six séjours à l’Isle de Jean-Charles. Pendant sept ans, j’ai documenté l’exode climatique de ses habitants, des derniers instants passés sur leur terre d’origine au commencement d’une nouvelle vie sur leur territoire d’accueil. Sept années où je me suis liée à eux, témoignant de vies d’adversité face à la réalité d’un anéantissement progressif. De fait, j’ai aussi fabriqué une mémoire d’un lieu qui n’existera bientôt plus – d’ici cinquante ans prévoient les scientifiques – et qui, aujourd’hui, ne ressemble déjà plus à celui que j’ai connu lorsque j’ai commencé à le photographier en 2016. L’ouragan Ida a en effet frappé violemment et dévasté la zone le 29 août 2021, avant même que les habitants ne soient relogés. Le coup de grâce pour l’Isle de Jean-Charles.”

Par habitude, Roger Naquin continue de passer certains après-midi dans la maison de son oncle Freddy, entièrement recouverte de moisissure depuis l’ouragan Ida. Habitant à Pointe-aux-Chênes, une localité du continent proche de l’Isle de Jean-Charles, Roger et Freddy ne sont pas éligibles au programme de délocalisation. Ils vivent désormais chacun dans une caravane de fortune. (2022)

 

En 2022, les habitants de l’Isle de Jean-Charles ont été délocalisés à Gray, sur un ancien champ de canne à sucre transformé en un lotissement de trente-sept maisons cédées gracieusement. Les habitants devront toutefois s’acquitter des taxes et assurances diverses, une charge notable pour ceux qui dépendent des aides sociales. Enfin, seuls ceux qui vivaient sur l’île pendant ou après l’ouragan Isaac de 2012 ont pu bénéficier de ce programme, excluant les habitants dispersés par de précédentes catastrophes, qui devront financer la construction de leur maison s’ils souhaitent s’installer à Gray. (2022)

Les travaux de Sandra Mehl sont à découvrir jusqu’au 17 septembre pendant la 35e édition du festival Visa pour l’Image à Perpignan.

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