Tendance toxique : le Ghana, poubelle de la fast fashion

L’industrie de la mode, et plus particulièrement la fast fashion, avec ses tendances éphémères et sa production massive, cache une réalité bien moins séduisante :son impact environnemental dévastateur. La fast fashion produit environ 10% des émissions mondiales de carbone et est le deuxième plus grand consommateur d’eau au monde. Mais plus encore, la plupart des habits laissés dans les bacs de recyclage finissent au Ghana.

Face à une importation hebdomadaire massive de 15 millions de pièces, le Ghana, avec sa population de 32 millions, est devenu malgré lui la poubelle vestimentaire des pays industrialisés. Ces envois, destinés en théorie au tri, à la réparation et à la revente sur le marché africain, souffrent d’une réalité moins reluisante. La qualité inférieure de la majorité de ces textiles, produits en série rapide par des marques de fast fashion, rend leur réutilisation impraticable. Seulement 30% de ces vêtements parviennent à être commercialisés. Le reste se transforme en montagnes de détritus, polluant plages et paysages naturels du Ghana. Ce phénomène a engendré une catastrophe écologique sans précédent.

Dans son travail intitulé Destination finale, Isabelle Serro, met en lumière les conséquences environnementales, sociétales et sanitaires, liées aux importations de textiles de seconde main au Ghana.

Je collabore principalement avec des ONG et des fondations sur des problématiques comme l’accès à l’eau potable ou les conséquences de la surpêche. J’ai notamment travaillé sur ce dernier sujet dans le golfe de Guinée, du Sénégal au Ghana, là où passent et se reproduisent de nombreux poissons. Or, les conséquences de la surpêche menée par les pays industrialisés se font déjà ressentir sur les populations côtières.

Véritables chevilles ouvrières du secteur de la pêche, les femmes qui souffraient déjà des conséquences de la surpêche des bateaux usines qui œuvrent au large , commencent à pâtir de cet autre dommage collatéral: Les importations massives de textile de seconde main, en provenance de l’occident, qui se répandent sur les côtes ghanéennes lorsqu’elles ne finissent pas au fond de l’océan. Ce désastre environnemental et écologique a un impact considérable sur les ressources halieutiques et sur l’économie du Ghana. Le poisson se fait rare, et lorsqu’il est là, il est difficile de le faire sécher, car trop petit et donc invendable.

 

Les gros bateaux raclent les fonds, utilisent des méthodes drastiques comme des lampes, qui sont pourtant interdites, et s’emparent de tous les gros poissons. Ceux qui restent n’ont pas le temps de grandir et ce sont eux que les populations locales ramènent sur les côtes. Ils sont si petits qu’ils en deviennent difficiles à sécher, donc invendables, et les pays sont obligés d’importer du poisson! C’est dans le cadre de ce travail que je me suis rendue au Ghana. J’ai alors découvert que certaines femmes avaient dû trouver des alternatives à la vente de poisson pour survivre et se sont lancées dans la vente de textile de seconde main.

 

Lorsque les vêtements ont échappé à toutes les convoitises humaines ou animales, ils finissent abandonnés aux quatre vents. Et pourtant, ce n’est toujours pas leur destination finale. En effet, dès que la saison des pluies arrive, une grande partie se retrouve dans la lagune, emportée par les vagues vers l’océan. Les textiles synthétiques peuvent mettre des centaines d’années à se décomposer. Pendant la mousson, ils dérivent dans le système d’égouts de la ville, étouffant le système de drainage et favorisant les inondations. Alors, les moustiques se reproduisent, les maladies fleurissent.

 

Le textile de seconde main a longtemps été enfoui, mais face à la pollution que cela représentait, notamment pour les nappes phréatiques, les pays industrialisés se sont mis à en exporter une partie vers certains pays d’Afrique comme le Rwanda, le Kenya ou le Ghana. Rien qu’au Ghana, les pays industrialisés envoient 160 tonnes de textile de seconde main chaque jour par conteneur.

 

Les vêtements devenus invendables sont alors déversés au sommet d’immenses monticules à ciel ouvert. Environ 70 tonnes de textiles sont jetées chaque jour dans l’environnement ghanéen, livrées aux quatre vents. Une véritable catastrophe écologique et environnementale.

 

Le Ghana –qui est un pays très corrompu– ouvre facilement ses portes contre de l’argent. Dans l’inconscient collectif, l’idée semble généreuse, on pense que c’est bien d’envoyer des produits dans des pays dans le besoin, mais ces ouvrages ont une qualité de plus en plus médiocre (soit parce qu’il s’agit de fast fashion soit parce qu’ils ont déjà été revendus plusieurs fois et ont donc été beaucoup portés) et il y en a tellement que leurs prix sont cassés, et que la production locale de textile devient, elle, de plus en plus chère et donc de plus en plus inabordable pour les Ghanéens.

 

La plupart des femmes du marché de Katamanto sont originaires du nord du pays et viennent dans la capitale soit pour des raisons économiques – le nord est une région agricole et a été touchée par la crise climatique -, soit pour échapper à un mariage forcé, soit parce qu’elles ont ont été amenés par des trafiquants. Lorsqu’ils arrivent, ils ne parlent ni l’anglais ni les dialectes locaux, ils sont isolés et sont souvent débordés par les dépenses de nourriture et d’hébergement. La plupart d’entre eux dorment dans la rue. Trouver l’équilibre entre dépenser ses maigres économies dans un ballon au contenu incertain est un exercice difficile, surtout pour ceux qui en ont le plus besoin. Certains tireront le meilleur parti de cet immense marché, tandis que d’autres risquent de sombrer dans l’alcool, la prostitution et le désarroi.

 

La majeure partie de ces vêtements sont issus des conteneurs Relais que l’on trouve souvent en France, sur les parkings par exemple. En moyenne, sur trente bornes Relais, une seule part en boutique solidaire pour aider les plus démunis et les vingt-neuf autres partent dans des sociétés belges qui les empaquettent en gros baluchons de 55 kg et les envoient par conteneur dans le port de Tema, le plus grand du Ghana.

 

Comme un billet de loterie, les femmes viennent acheter leurs balles, ne connaissant que le contenu, mais jamais la qualité. Dans ces balles d’environ 55 kg, la qualité se dégrade depuis quelques années. Les femmes interrogées au marché de Katamanto estiment que depuis quelques mois seulement 30% des marchandises peuvent être vendues. Une fois triés, la plupart des vêtements sont transmis aux couturières et tailleurs pour les préparer à leur nouvelle vie. Bien que ce marché de Katamanto soit considéré comme une économie informelle, une grande partie des revenus qu’il génère va dans les caisses de l’État ghanéen. Non seulement les balles de textile sont taxées à leur arrivée au port de Tema, mais chaque vendeur est tenu de payer un loyer pour son stand au marché de Katamanto. Beaucoup d’entre eux, pour ne pas grignoter les éventuels maigres revenus de leurs ventes, ne souscriront pas à un contrat d’électricité et répareront, coudront, à l’aide d’une torche ou à la lumière de leur téléphone portable.

Des femmes s’y présentent chaque jeudi pour les acheter, mais c’est une sorte de loterie. Personne ne sait quelle sera la qualité des vêtements à l’intérieur. Seront-ils abîmés? Auront-ils des taches? Des traces de sueur? En moyenne, 70% de chaque baluchon est jeté, car importable. Les 30% qui restent sont recousus, reteintés, rapiécés puis revendus pour permettre l’achat d’un nouveau baluchon…

 

Coudre, recoudre, teindre, réparer, laver, sécher pour tenter de donner une nouvelle vie à tous ces vêtements en provenance de l’occident.

Les 70% jetés le sont à même les ruelles du marché. Une seconde économie se met alors en place. Ce sont des hommes qui, contre quelques pièces de monnaie de la part des revendeurs, débarrassent les ailes du marché de ces déchets. Si bien que d’immenses décharges, de vraies montagnes de textile, se dressent tout autour de la capitale. Là-bas, les plus pauvres remuent des déchets toute la journée dans l’espoir de trouver des vêtements que l’on peut encore laver et rapiécer pour en tirer une somme d’argent dérisoire.

 

On pourrait penser que ces énormes monticules, hauts de plusieurs mètres, sont la destination finale de ces tonnes de textile. Une troisième économie apparaît alors. Au petit matin, des centaines de femmes, d’hommes et d’enfants passent des heures à retourner ces piles de textiles, telle une véritable quête du possible graal. Et lorsqu’est découvert un vêtement qui semble encore avoir un souffle de vie, il est emporté pour tenter un ultime sauvetage et en dégager un maigre profit. Dans cet enfer à ciel ouvert, chaque trouvaille est une véritable source d’espoir. Certains déchets organiques sont mélangés à des textiles en fin de vie, des plastiques, de nombreux produits chimiques, déchets que les troupeaux de vaches qui escaladent ces monticules tentent de consommer. Devenues très agressives, elles semblent avoir la cervelle en pagaille. Conséquence de ce qu’elles ingèrent ?

 

Certaines montagnes de textile, ouvertes aux quatre vents, se déversent dans la lagune puis dans l’océan, surtout quand il pleut, et viennent les polluer. Dans la lagune, les bateaux ne sont plus amarrés sur des plages de sable mais sur des plages de jeans et de soutiens-gorge.

 

Pendant la saison des pluies, les textiles migrent dans les égouts puis en mer. Une minorité flotte, les plus lourds coulent au fond de l’océan. Sous l’effet des courants marins, ils remontent et s’enroulent entre eux, formant de longs bras de tissu appelés “tentacules” mesurant jusqu’à 10 mètres de long. Ces tentacules s’échouent pour certaines d’entres elles sur les plages des côtes ghanéennes puis s’enfoncent dans le sable, si enchevêtrées qu’elles ne peuvent plus être retirées. Elles sont alors responsables de noyades, endommagent les moteurs des bateaux de pêche qui contribuent à l’économie locale. On assiste alors à d’immenses étendues, recouvertes de jeans, de sous-vêtements et de tee-shirts multicolores. Les pêcheurs ne foulent plus le sable avec leurs pieds et leurs bateaux sont désormais stationnés sur des plages avec des vêtements de marques américaines, européennes ou même chinoises. Une vaste pollution qui a un impact non négligeable sur l’environnement mais sur la disparition des ressources halieutiques, qui étaient jusqu’ici, les garantes de la sécurité du bol alimentaire.

Les habitations sont tellement proches de ces montagnes qu’on brûle ces monticules pour faire de la place, ce qui est une nouvelle source de pollution mais provoque aussi le développement de maladies pulmonaires.

 

At the foot of these textile mounds, a shanty town has formed, called “Old Fadama”. When the authorities dismantled it a few days later, the makeshift dwellings resurfaced to allow their inhabitants to be closer to this possible source of income.Every day, porters climb these textile mountains to dump end-of-life clothes.

Cinquante-cinq kilos sur la tête, c’est lourd! Donc les accidents sont fréquents. Cette femme, sur la photo, s’est fait happer par un bus. Et comme elle n’a pas d’assurance, elle n’a pas pu se faire soigner correctement et reprendre son travail de revente de vêtements, sombrant dans une pauvreté encore plus intense. Cela me semblait important de souligner dans mon reportage qu’au-delà des conséquences sur l’environnement que cette économie entraîne, de nombreuses femmes en constituent les dommages collatéraux.

 

Il y a quelques mois, dans le trafic de la capitale, un bus a percuté Justine alors qu’elle se rendait au marché de Katamanto, pour exercer son activité de porteuse de balles.
Justine n’a aucune assurance, aucune autre source de revenu et ne peut plus travailler. Elle va sans doute être contrainte de retourner dans le nord du pays, d’où elle est originaire. Le cas de Justine n’est pas un cas isolé. Beaucoup de femmes sont dans cette situation.

 

 

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